Améliorer la productivité et la durabilité de l’élevage en Afrique de l’Est : Le rôle des systèmes de semences fourragères
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L’élevage joue un rôle crucial dans les économies des pays d’Afrique de l’Est, avec des millions de personnes dépendant du bétail, des chèvres et des moutons pour leur alimentation, leurs revenus et leur emploi. Cependant, malgré le fort potentiel agricole de la région, la production animale est confrontée à un déficit alimentaire important : près de 40 % de la demande totale en alimentation des ruminants n’est pas satisfaite chaque année.
Ce défi, aggravé par le changement climatique, limite la capacité de la région à optimiser la productivité du secteur de l’élevage. Réduire cette pénurie alimentaire est essentiel pour améliorer la sécurité alimentaire, les moyens de subsistance en milieu rural et la durabilité environnementale.
Une étude récente menée par Burkart et Mwendia de l'Alliance Bioversity International et CIAT met en lumière l'urgence d'améliorer l'accès aux semences fourragères de qualité en Afrique de l'Est. La recherche souligne que de nombreux agriculteur.rice.s dépendent de semences obsolètes et de faible qualité, ce qui limite leur capacité à cultiver des fourrages hautement productifs et riches en nutriments, pourtant essentiels pour réduire le déficit alimentaire du bétail.
Le défi du déficit fourrager
Les pénuries alimentaires pour le bétail en Afrique de l’Est sont particulièrement préoccupantes en Éthiopie, au Kenya, en Tanzanie, en Ouganda, au Rwanda et au Burundi, où la superficie consacrée aux cultures fourragères est alarmante de faiblesse par rapport à d’autres régions comme l’Amérique latine.
Par exemple, la Colombie, bien que disposant de moins de terres que l’Afrique de l’Est, consacre près de six fois plus de surface à la culture des fourrages. Cette disparité s’explique par plusieurs facteurs, notamment la disponibilité limitée des terres, le coût élevé des semences, le manque d’accès à du matériel végétal de qualité et les conditions climatiques défavorables.
Avec un déficit alimentaire annuel de 40 %, les éleveur.euse.s de ruminants peinent à répondre aux besoins nutritionnels de leurs troupeaux. Cette situation affecte non seulement la santé du bétail, mais réduit aussi la productivité en lait et en viande, mettant ainsi en péril les moyens de subsistance des petit.e.s exploitant.e.s agricoles.
Une solution : Des semences fourragères améliorées
L’étude propose une approche multifacette pour remédier au déficit fourrager, en mettant particulièrement l’accent sur l’amélioration de l’accès aux semences fourragères de haute qualité. Cet objectif pourrait être atteint grâce à la promotion de variétés fourragères améliorées, telles que les hybrides d’Urochloa et Megathyrsus maximus, sélectionnées pour offrir une meilleure valeur nutritionnelle et une plus grande résilience face aux contraintes climatiques, notamment la sécheresse.

Tester différentes variétés de fourrage comme Urochloa (syn. Brachiaria) pour le rendement et la résistance à la sécheresse. Crédit : Georgina Smith / CIAT
La recherche suggère que le développement d’initiatives locales de production de semences pourrait réduire la dépendance aux importations coûteuses. En soutenant la production nationale de semences, il serait possible de faire baisser les prix, les rendant ainsi plus accessibles aux agriculteur.rice.s. Cela favoriserait l’adoption de fourrages améliorés, entraînant une augmentation de la productivité du bétail et de meilleurs résultats économiques pour les producteur.rice.s.
Le potentiel économique des systèmes de semences fourragères
Le potentiel économique des systèmes de semences fourragères améliorés dans la région est considérable. L’étude estime que le marché régional des semences fourragères pourrait atteindre près de 877 millions de dollars USD au cours de la prochaine décennie, en raison de la demande croissante pour des variétés fourragères améliorées capables d’augmenter la productivité du bétail, de renforcer la résilience climatique et de contribuer à la sécurité alimentaire.
Au-delà du marché des semences, la culture de fourrages améliorés présente également des avantages environnementaux significatifs. Par exemple, certaines espèces d’Urochloa ont démontré leur capacité à réduire les émissions de méthane du bétail et à séquestrer du carbone dans le sol. Ces bénéfices environnementaux s’inscrivent dans les efforts globaux d’atténuation du changement climatique et sont en accord avec les objectifs internationaux de durabilité.
Que peut-on faire pour accroître l'adoption de fourrages améliorés ?
La recherche formule plusieurs recommandations clés pour combler le déficit fourrager et encourager l’adoption des fourrages améliorés en Afrique de l’Est :
1. Soutien des politiques gouvernementales : Les gouvernements de la région devraient accorder une priorité à la production fourragère dans leurs politiques agricoles. Cela inclut des investissements dans la recherche, l’amélioration du cadre réglementaire des semences et le renforcement des partenariats public-privé afin d’accroître la disponibilité des semences.
2. Appui à la production locale de semences : Pour rendre les semences fourragères plus accessibles et abordables, il est essentiel de développer des systèmes de production locale. La Zambie apparaît comme un pays prometteur grâce à ses conditions environnementales favorables à la production de semences. Cela permettrait de réduire la dépendance aux semences importées coûteuses et de créer des opportunités économiques en milieu rural.
3. Amélioration de la distribution des semences : Des réseaux de distribution efficaces doivent être mis en place, notamment dans les zones rurales où l’accès aux semences de qualité est souvent limité. Des partenariats avec les entreprises semencières, les ONG et les associations de producteur.rice.s pourraient faciliter cette distribution.
4. Formation des agriculteur.rice.s et services de vulgarisation : Il est nécessaire de mettre en place des programmes de formation complets pour sensibiliser les agriculteur.rice.s aux avantages des fourrages améliorés et aux bonnes pratiques de gestion. Ces formations devraient être axées sur des techniques pratiques et sur les bénéfices économiques et environnementaux à long terme de la culture des fourrages.
5. Coopération régionale : Les pays d’Afrique de l’Est devraient renforcer leur collaboration pour faciliter la circulation transfrontalière des semences fourragères. Cela pourrait être réalisé à travers des blocs commerciaux régionaux comme le COMESA et la CAE (Communauté d'Afrique de l'Est), ce qui permettrait de réduire les lourdeurs administratives et d’améliorer l’accès aux semences.

Les éleveur.euse.s de la région de Tanzanie cherchent à améliorer leur production tout en réduisant leur impact environnemental en cultivant des fourrages améliorés.
Crédit : Georgina Smith / CIAT
La production animale en Afrique de l’Est possède un fort potentiel pour la croissance économique et la sécurité alimentaire, mais elle est freinée par un déficit fourrager important. En améliorant l’accès aux semences fourragères de haute qualité, la région pourrait renforcer la productivité du bétail, soutenir les moyens de subsistance en milieu rural et contribuer à l’atténuation du changement climatique. Toutefois, surmonter les obstacles à l’accès aux semences nécessitera des efforts concertés des gouvernements, du secteur privé et des agriculteur.rice.s. Avec les bonnes politiques, des investissements ciblés et un soutien adéquat, l’Afrique de l’Est peut relever le défi de l’alimentation du bétail et ouvrir la voie à une production animale plus durable et plus productive.
Cette recherche met en évidence l’urgence d’investir stratégiquement dans les systèmes fourragers, non seulement pour améliorer la productivité du bétail, mais aussi pour renforcer la résilience de l’agriculture en Afrique de l’Est face aux défis climatiques. L’opportunité de transformer l’élevage en un moteur du développement durable est à portée de main.